samedi 20 octobre 2012

LA CITTA VUOTA

Avant même qu'Arthur prononce le moindre mot, l'odeur de tabac froid était arrivé jusqu'à mes narines. J'ai tout de suite compris que ce rendez-vous sentait le cramé, et qu'il me faudrait dès lors trouver un échappatoire.
Arthur portait un ultime coup de grâce à toutes ces rencontres médiocres qui s'étaient échelonnées ces dernières semaines. Cent-vingt trop longues minutes d'un monologue sur la gestion d'espace au bureau ou du désintérêt de connaître le solfège pour pouvoir pratiquer la musique d'ensemble. Ce que je juge comme une hérésie, bien évidemment.

Je ne saurai dire si j'étais plus énervé contre moi que pour lui. Je pense que j'en ai assez de me laisser entraîner dans ces rendez-vous qui ressemblent d'avantage à des entretiens d'embauche, où je me dois de paraître comme un garçon des plus formidables dont les défauts ne seraient pas apparents.
Cet assemblage maladroit de mensonges diffus et de banalités polies me remplit d'un agacement progressif qui ne tarderait pas à provoquer une implosion sourde. Implosion, qui a eu lieu à vingt-deux heures trois hier.

J'enverrai aux orties les souvenirs de ces passades fades et sans aucun embrasement. Sauf peut être Henri qui restera la promesse gâché de meilleurs lendemains.

Je crois que je cours après un fantasme, celui de l'homme complémentaire - qui n'existe pas ou qui n'existe plus - et que mon incapacité à tolérer autre chose que l'excellence me jouera des tours.
J'ai peur de ne savoir m'en défaire, que ma capacité d'émerveillement a disparu tout comme mon habilité à faire confiance. J'ai peur de ne savoir me défaire de mes défauts, ou du moins passer outre, de tester chaque être masculin jusqu'à ce qu'il s'épuise.
La solitude n'est pas prête de me quitter, je n'en éprouve ni souffrance, ni peine, ni haine, elle m'accompagne depuis quelque temps, c'est devenu une très bonne amie.
Nous ne pleurons pas ensemble, jamais. Elle ne me fait pas sourire, mais teinte mes journées d'un gris qui m'inspire les mots les plus doux et les traits les plus fins. Peut être ne pourrais-je m'accomplir sans elle.

mardi 25 septembre 2012

TROIS PAR TROIS

Je lui ai craché le morceau. Promptement. Comme on arrache un pansement. J'ai plongé mes yeux clairs dans ses opales aquatiques et j'ai lâché la bombe.
Ma main était posé sur ma hanche, mon regard soutenu comme par défi. Je voulais qu'il me gifle.
Il m'a demandé si j'étais sérieux, ce que j'ai confirmé. Il s'est mordu la lèvre supérieure, et la gifle n'est pas venue.

Je m'attendais à lire la déception sur son visage, que ses sourcils noirs se baissent, et que son regard se fasse froid comme l'acier. J'ai surtout trouvé un homme inquiet.

L'effroyable vérité, c'était le vide. La surprenante vacuité qui naissait sourdement dans ma poitrine, comme si quelqu'un m'avait volé mon coeur pendant mon sommeil - et ma capacité de jugement aussi - et que soudainement plus rien n'avait d'importance, qu'importe le nombre de coeurs que je briserai en chemin, qu'importe mes noirs desseins, qu'importe les traits fins du prochain amant. Qu'importe.

Il me faudrait infliger autant de coup que l'on m'a asséné.

dimanche 2 septembre 2012

LES NUITS D'ETE ONT DES EFFLUVES D'ENCENS

Certes, mes jambes ont parcouru des milliers de kilomètres mais mon coeur semble avoir fait plusieurs fois l'aller-retour à la lune. Au moins.
En enjambant deux à deux les marches qui me mènent au quatrième étage du numéro 73 du boulevard Voltaire. J'ai un kilo de plomb dans le ventre, les oreilles qui bourdonnent et le coeur au bord des lèvres.

Et lorsqu'il plonge ses yeux clairs dans les miens, et trempe ses lèvres aux miennes, les doutes, appréhensions et questions abreuvent comme la mousson, et cette foutue sensation d'être une adolescente de dix-sept ans en proie aux doutes mais qui a des papillons dans le ventre.

La nuit parait déraisonnablement longue et courte à la fois, je perds toute notion du temps suspendu dans une bulle aux effluves d'encens, je me noie dans l'ozone de son encre, sans reprendre mon souffle une seule fois.


lundi 13 août 2012

GUET APENS

Ne nous le cachons pas, Romain était un garçon fade. A vrai dire, s'il ne m'avait pas envoyé un message, il aurait probablement disparu dans les méandres de ma mémoire avec mes souvenirs de fac, jetés depuis longtemps aux oubliettes.

Romain m'avait donc invité à prendre un verre. Au nom d'une amitié fané, d'un passé qui n'intéressait que lui et comme je suis un garçon (trop) poli, j'ai accepté.
Il était tel que dans mes souvenirs, brillant mais peu cultivé, un brin vulgaire et a toujours cette façon horripilante de coincer sa langue entre ses dents et d'aspirer, ce qui provoque un bruit profondément agaçant qu'il répète toute les trente secondes.
Je n'avais même pas commencé à boire mon monaco tiède, que mon amabilité gagnait du terrain.

Lorsqu'il m'a annoncé son amour du genre masculin, mon monaco est venu se loger directement dans mes poumons. Au milieu de mon asphyxie sucrée, je prie pour retrouver le souffle et que surtout, il ne se lance pas dans des avances peu distinguées.

Comme il n'y a aucune justice sur Terre (ou que j'ai prié le mauvais dieu, la faute peut venir de moi), il lui a fallu trente -trop courtes - secondes pour qu'il pose sur moi son regard d'homme affamé et qu'il se sente obligé de me raconter dans les moindres détails sa vie intime, m'invitant expressément à partager la mienne. Je suis arrivé depuis dix minutes, je tape du pied sous la table, je suis tour à tour furieux, dégoûté, agacé et je cherche déjà une issue de secours.

De toutes façons, il n'entend pas mes réponses évasives, il est déjà prêt à rebondir et me propose de le rejoindre dans son lit pour passer un moment de détente "sympathique", je cite dans le texte. Je prends mon courage à deux mains, je lui réponds un cinglant "Je ne suis pas intéressé, tu n'es pas mon type" qui pourrait clore ce chapitre douloureux et mon agonie naissante.
Il semble enfin m'entendre, s'arrête, et reprend de plus belle ses suggestions en prenant des poses lascives, me demandant si je suis excité par ce qu'il me raconte. Je regrette alors de ne pas m'être vraiment étouffé avec mon Monaco.

Puisque les réponses glaciales n'ont pas d'effet, je décide alors de miser sur mon talent de comédien. Je feins la réception d'un SMS qui nécessite une intervention immédiate. Je me concentre sur mon écran noir, fronce les sourcils, il me demande si ça va, je laisse s'installer un grand blanc. Mon regard se perd dans le vide, je m'excuse, je balbutie, déglutis difficilement, et lui annonce que je dois partir immédiatement.
Je suis déjà loin, je me lève soudainement, jette cinq euros sur la table, je n'écoute pas ce qu'il me dit, je lui claque la bise, répond presque rien et disparait dans la rue du maréchal joffre sans me retourner et replace Romain là où il était. Aux oubliettes.

samedi 2 juin 2012

Le paradoxe

Les minutes s'égrainent avec la lourdeur du plomb. Ce paradoxe stupide de trouver que le temps ne passe pas assez vite et trop vite à la fois et que dans vingt sept jours, je serai sur une péniche, une coupe de champagne à la main pour fêter l'accomplissement de vingt et un an de travail.
Nous allons tous rire autant que nous pleurons, nous promettrons de nous revoir, de nous appeler, de nous faire signe. Je sais que nous ne tiendrons pas la moitié de nos engagements, que la plupart ont été faits par politesse et courtoisie.
On me promet un avenir radieux, on me prédit du talent et une carrière à responsabilité. Je n'en sais que penser, je n'ai jamais cru au talent mais à la force du travail, à la concentration et la chance, dont j'ai peu manqué jusque là.
J'ai peur que derrière mes blagues, mes sourires charmeurs et mes yeux clairs, on s'aperçoive que je ne suis qu'une fraude, que mes capacités à sentir ne sont finalement bien moins exceptionnelles que ce que l'on dit et que derrière une façade de garçon inébranlable, mes failles finissent par apparaître, que le décor en carton plâtre s'effondre.
Je suis las, je suis épuisé, j'ai envie de couper le téléphone et de ne plus répondre au courrier de vivre dans l'anarchie profonde avec quelqu'un qui m'aime, d'un amour sincère pas un amour grandiloquent, romancé, torturé. D'un amour simple mais profond. Je veux l'odeur du café dans ma cuisine, l'odeur d'un autre sur les draps, des baisers endormis et fiévreux, de rire à gorge déployé. Je veux tout, sans faire la moindre concession, c'est bien ça mon problème, le temps n'arrange rien, je l'avais compris dès le départ, le temps passe avec la lourdeur du plomb, comme un poids sur les épaules, il m'angoisse et me ravit à la fois. Ce paradoxe stupide de trouver que le temps ne passe pas assez vite et trop vite à la fois.

mardi 24 avril 2012

BLACK INK

Ce sont des torrents noirs qui giclent de ma bouche et coulent en filet le long de mon menton laissant de sombres traces sur mon cou.
C'est mon coeur que j'entends pourtant battre dans mes oreilles, lorsque de retour en ville, je crois percevoir ton fantôme à chaque coin de la place plum'. J'ai peur d'ouvrir les vannes, d'ouvrir les veines en vain et de voir déverser de nouveaux les flots rouges de sang, et de saigner à vif comme ça, face à toi.
J'imagine vingt mille fois la surprise sur ton visage, j'imagine la surprise, la peur, l'inquiétude sur le visage de celui que tu aimes mais qui n'est pas moi.
Tu n'aimeras pas ce que je suis devenu, tu détesteras les flots d'encre noire qui glissent entre mes lèvres qui ne sont déjà plus vierge des tiennes. La pluie a lavé à grandes eaux les trottoirs de la capitale et ton souvenir fugace se noie un peu plus à chaque fois. J'ai ordonné à mon coeur d'arrêter de battre comme ça, à chaque fois que ton souvenir me frôlera. C'est comme ça.

mercredi 14 mars 2012

FORGET

On m'a éduqué. On m'a fait parler le français, l'anglais, l'allemand. On m'a fait lire Saint Exupery, on m'a dit que l'essentiel était invisible aux yeux. J'ai appris mes tables de multiplications par coeur, notamment celle de quatre.
On m'a appris la brasse coulée, mais pas le crawl. On m'a dit qu'il fallait se brosser trois minutes les dents à chaque repas, et qu'il faudrait le même nombre de minutes pour faire cuire un oeuf à la coque. On m'a appris à mettre ses sentiments de côté et à ne pas pleurer en public, à ne pas pleurer du tout parce que ce n'est pas poli. On m'a appris à ne jamais rien demander aussi.
Mais on ne m'a jamais dit que ça ferait mal à ce point de te voir partir. On ne m'a pas appris à savoir retrouver son souffle lorsqu'il est coupé, on ne m'a pas appris à survivre à ton odeur sur l'oreiller, le parfum de ta peau dans ta serviette. On ne m'a pas appris à oublier ton visage, tes traits, les trois grains de beauté en triade sur ton ventre, tes mains sèches et rugueuses, la douceur de ta nuque. Ca, on ne m'a pas appris.

Extrait du journal de Caillou, Août 2011.


vendredi 10 février 2012

DIARY

Souviens-toi.

J'ai retrouvé l'autre jour le journal intime de Caillou. Caché sous une latte du parquet. Je n'ai pas encore osé l'ouvrir, déchiffrer ses pattes de mouche.
Il a pris la poussière sur un coin de bureau, j'ai observé sa couverture en cuir d'un oeil, inquiet, comme s'il allait soudainement se mettre à parler.
Rongé par la curiosité, et inquiet de ce que je pourrais y trouver, j'ai décidé de braver l'interdit et de le lire.

samedi 21 janvier 2012

SANGUIN ET COLÉRIQUE

Mon cœur battait lentement dans les oreilles et je portais tranquillement ma cigarette à mes lèvres, dans les décombres fumants de notre débauche d'hier. Les cadavres de bouteilles disséminés dans chaque recoin du salon de ses parents comme autant de preuves de nos excès.
J'avais bien évidemment trop bu la veille, et conscient de mon état d'ébriété j'avais pris soin de noter sur le bras les titres de livres que m'avait recommandé Claire. J'étais sûr de les oublier. Nous avions débattu pendant une bonne heure sur Françoise Sagan et Colette, mais ma mémoire furtive ne saurait se rappeler de l'objet du débat.
Mes autres souvenirs ne sont pas si flous, je me souviens du goût des lèvres de Marc, de l'odeur de la vodka, du rire de son frère ou encore de nos pas de danse sur Chairlift.

J'étais là, silencieux, et éteint, assis à sa table de banquet, à moitié nu, à constater les ravages de notre fougue, et de notre jeunesse, quand mon téléphone s'est mis à vibrer.
Ma voix cassée s'est mise à résonner dans la pièce trop grande. Il m'a fallu quelques secondes pour reconnaître la voix feutrée de Jordan. Il m'annonçait deux choses : il avait trouvé du travail chez un designer et il retournait à new york.
Il emportait avec lui, dans ses valises les balbutiements de notre amour et la promesse qu'un jour je dormirai dans ses bras. Nous avons raccroché, sur un "Take care" plus qu'évasif. Le regard vague, il ne me restait plus qu'à dire "bonjour tristesse".