mardi 25 mars 2014

SOLANGE

Cette fois, c'est la der des der, la dernière de tes guerres, ton dernier hiver, tes dernières neiges. Tout à un goût de fin, même cette crêpe au rhum que je n'arrive pas à apprécier. Mes yeux se noient dans mes larmes, ils boivent la tasse et je n'arrive pas à boire mon thé tant j'ai la gorge serrée.

Je te regarde, Solange, sur le bout de ta chaise, je regarde tes cheveux gris, je plonge mes yeux dans ton regard noir, absent. Je me retrouve dans ton visage, dans ton nez, ta bouche. Je te ressemble tellement, et jusque dans tes imperfections.
Et je me fais violence pour être plus fort, fort pour nous deux, à ne pas exploser en sanglots et exposer aux inconnus tout ma peine. Je les ravale par fierté et je sens les fissures se propager sous ma peau comme une vitre que l'on brise.

Je te redresse, tu m'attrapes la main avec une force qui m'étonne. Je contemple tes doigts noueux, je t'embrasse sur la joue, je te dis à bientôt mais je n'y crois pas. Je traverse le hall sans jamais me retourner, pas une fois.

Cette fois, c'est la der des der, il n'y aurait plus d'été dans les alpes, il n'y aurait plus de gigot le dimanche midi, personne pour s'inquiéter de savoir si j'ai froid, plus de chocolat noir au petit déjeuner et de camomille à dix sept heures, plus cette odeur de cologne chyprée dans la salle de bain ou l'odeur du savon de marseille dans la cuisine. Je ne pourrais plus aller à Chartres sans te voir dans les champs de Colza, je détesterai toujours autant la neige et je la détesterai pour toi, personne pour m'apprendre à recoudre un bouton, désapprouver mon alimentation, me faire réciter mes leçons, râler quand je parle allemand ou au contraire s'enchanter de mon anglais.

Il n'y a plus personne avenue de la résistance, et ça tu vois, ce silence et ce vide, j'ai beau faire semblant et me forcer, je n'arrive pas à m'y faire.