lundi 13 août 2012

GUET APENS

Ne nous le cachons pas, Romain était un garçon fade. A vrai dire, s'il ne m'avait pas envoyé un message, il aurait probablement disparu dans les méandres de ma mémoire avec mes souvenirs de fac, jetés depuis longtemps aux oubliettes.

Romain m'avait donc invité à prendre un verre. Au nom d'une amitié fané, d'un passé qui n'intéressait que lui et comme je suis un garçon (trop) poli, j'ai accepté.
Il était tel que dans mes souvenirs, brillant mais peu cultivé, un brin vulgaire et a toujours cette façon horripilante de coincer sa langue entre ses dents et d'aspirer, ce qui provoque un bruit profondément agaçant qu'il répète toute les trente secondes.
Je n'avais même pas commencé à boire mon monaco tiède, que mon amabilité gagnait du terrain.

Lorsqu'il m'a annoncé son amour du genre masculin, mon monaco est venu se loger directement dans mes poumons. Au milieu de mon asphyxie sucrée, je prie pour retrouver le souffle et que surtout, il ne se lance pas dans des avances peu distinguées.

Comme il n'y a aucune justice sur Terre (ou que j'ai prié le mauvais dieu, la faute peut venir de moi), il lui a fallu trente -trop courtes - secondes pour qu'il pose sur moi son regard d'homme affamé et qu'il se sente obligé de me raconter dans les moindres détails sa vie intime, m'invitant expressément à partager la mienne. Je suis arrivé depuis dix minutes, je tape du pied sous la table, je suis tour à tour furieux, dégoûté, agacé et je cherche déjà une issue de secours.

De toutes façons, il n'entend pas mes réponses évasives, il est déjà prêt à rebondir et me propose de le rejoindre dans son lit pour passer un moment de détente "sympathique", je cite dans le texte. Je prends mon courage à deux mains, je lui réponds un cinglant "Je ne suis pas intéressé, tu n'es pas mon type" qui pourrait clore ce chapitre douloureux et mon agonie naissante.
Il semble enfin m'entendre, s'arrête, et reprend de plus belle ses suggestions en prenant des poses lascives, me demandant si je suis excité par ce qu'il me raconte. Je regrette alors de ne pas m'être vraiment étouffé avec mon Monaco.

Puisque les réponses glaciales n'ont pas d'effet, je décide alors de miser sur mon talent de comédien. Je feins la réception d'un SMS qui nécessite une intervention immédiate. Je me concentre sur mon écran noir, fronce les sourcils, il me demande si ça va, je laisse s'installer un grand blanc. Mon regard se perd dans le vide, je m'excuse, je balbutie, déglutis difficilement, et lui annonce que je dois partir immédiatement.
Je suis déjà loin, je me lève soudainement, jette cinq euros sur la table, je n'écoute pas ce qu'il me dit, je lui claque la bise, répond presque rien et disparait dans la rue du maréchal joffre sans me retourner et replace Romain là où il était. Aux oubliettes.